Dans cette série d’interviews, nous donnons la parole aux créateurs et créatrices de la communauté francophone de Sea of Thieves.
Nous recevons VoidFactory, lead sound designer chez Rare.
SoTfr : C’est un honneur de t’avoir à notre micro, merci beaucoup pour le temps que tu nous accordes. Quel est ton background et comment es-tu arrivé chez Rare ?
Void : J’ai commencé par un BTS audiovisuel, suivi d’une licence et d’un master cinéma option son à l’Université d’Aix en Provence. Je savais que je voulais travailler dans le jeu vidéo, mais à l’époque il n’y avait pas de formation spécifique au sound-design [création de sons et bruitages adaptés au jeu et à ses évènements]. Je suis donc parti faire des stages. À Pragues, dans un studio de musique, puis à Varsovie pour This War of Mine (le même studio qui produira Frostpunk), et enfin en Angleterre avec Brighton, Portsmouth et les Midlands.
En fait, j’ai suivi les conseils de mon père, qui a toujours pensé que les ordinateurs et l’anglais c’était l’avenir. Parti d’un Atari ST, j’ai petit à petit eu d’autres consoles, comme la Playstation ou la Dreamcast, qui m’ont permis de tester des grands jeux comme Final Fantasy VII ou Shenmue. Être parti à l’étranger a été important pour ma carrière, car j’ai pu trouver de nouvelles choses à expérimenter et augmenter mes chances de rentrer dans des grands studios. En France, à l’époque en tout cas, le sound design n’était vraiment tant développé et ça ne fonctionnait pas tout à fait de la même façon.
C’est en arrivant dans les Midlands que j’ai commencé à travailler sur Rare Replay, une compilation de jeux pour les 30 ans de Rare [le studio qui a créé Sea of Thieves]. Parallèlement, nous avions commencé à développer le prototype de ce qui allait devenir SoT et ça fait maintenant 7-8 ans que je travaille sur Sea of Thieves.
SoTfr : Pourquoi as-tu choisi le son plutôt qu’une autre branche de la création vidéoludique ?
Void : J’ai toujours plus ou moins baigné dans la musique ! À 5-6 ans, j’ai commencé à jouer du piano puis j’ai joué dans des groupes pour composer sur du support CD. À la base, je voulais travailler dans un studio de musique, mais j’ai vite compris que c’était mort car ce modèle d’enregistrement s’est effrité avec le temps au profit du home studio. En consommant la musique différemment, mon envie d’être ingénieur du son a perdu de son sens.
Par contre, le jeu vidéo est toujours resté une passion et le sound design est venu assez naturellement. Et l’université m’a apporté les notions dont j’avais besoin pour cette voie, que ce soit en terme de moyens que de composition et d’outils.
SoTfr : Mais en quoi consiste le métier de sound designer au final ?
Void : Chaque sound designer est responsable de la création de certains éléments présents dans le fond du jeu. On est une équipe de 7, incluant 2 musiciens. Cela implique de créer aussi des systèmes, qui vont contrôler la façon dont les sons sont rendus et entendus en jeu. Il n’y a pas de recette unique pour chaque projet !
Je m’occupe donc de créer des sons, mais aussi de la gestion de projet de l’équipe et de ses interactions avec les autres équipes. La gestion humaine et des ressources est ainsi une part importante de mon travail.
Sotfr : Quels sons as-tu adoré réaliser dans Sea of Thieves ?
Void : Pour être honnête, j’ai publié une liste sur le Discord il y a vraiment longtemps. Ce qui est génial, c’est qu’on travaille pour créer toute sortes de sons … pas forcément matures. Comme le fait de péter lorsque votre pirate s’assoupit en étant saoul, c’est incongru mais ça apporte une patte particulière au jeu !
Il y a ce genre de sons « cachés », mais il y en a vraiment pour toutes les situations. Exemple avec le menu radial : selon si vous êtes sur la plage, dans l’eau ou même dans le Ferry des damnés, il n’aura pas le même son. Le vent aussi ! Si vous faites vraiment attention au son ambiant, vous pouvez savoir dans quelle direction il souffle car tout est spatialisé.
SoTfr : As-tu des sons préférés ?
Void : Tous les craquements de navires, donc à la fois les sons et le système pour les rendre dans le jeu, c’était top à créer. C’était assez délicat à créer car ils devaient être variés, mais aussi crédibles en fonction de la position du navire et de sa situation. J’aime surtout les petits détails, comme les PNJ qui minent dans l’Antre de la Faucheuse ou le bruit de la pluie qui cogne contre un abri en bois, il faut vraiment faire attention aux détails et se perdre dans le jeu pour tout découvrir.
Le son du coffre pleureur a vraiment été un défi par exemple. On est parti sur plusieurs prototypes au départ, incluant des bébés qui pleurent mais c’était soit trop creepy soit pas assez satisfaisant. Car il faut aussi que le son soit reconnaissable, iconique et qui impacte le gameplay dans la direction où on souhaite aller. Au final, je me suis enregistré au studio en imitant quelqu’un qui faisait semblant de pleurer, en mode un peu moqueur, et c’est cette base d’enregistrement qu’on a gardé pour le final !
SoTfr : Quelles sont les différentes étapes dans le processus de création du son ?
Void : La première chose que je fais, c’est de regarder la réalité … et je choisis de l’ignorer. La réalité, c’est ennuyant et chiant ! La différence entre ce que tu entends et ce que tu penses entendre est complètement différente, le phénomène et son interprétation sont deux choses très différentes. Dans Sea of Thieves, j’ai voulu me mettre dans la position des joueurs et de leur attente psychologique face à ce qu’ils s’attendent à entendre dans un jeu de pirate avec cette direction. Il faut répondre à cette attente, ce besoin, cette envie, lors de la création d’un son. Un son seulement réaliste sera chiant.
Tout dans Sea of Thieves a une sorte de seconde vie. Déposer un coffre ce n’est pas juste un « bonk » par terre, il y a les poignées qui tombent, le matériau du coffre, la réaction du sol … tout ça vit à travers ses ensembles visuels et sonores. Finalement, ce que je veux c’est quelque chose qui est Larger than life [plus gros que nature], pour le faire vivre.
C’est aussi important de considérer une certaine conscience collective, c’est-à-dire d’anticiper ce que les gens attentent entendre dans telle situation. Tout le monde part d’une certaine base commune, et il faut répondre à ce besoin pour que cela fonctionne. Comme Sea of Thieves est sorti depuis longtemps, le jeu possède une identité et il est important lorsque l’on crée de nouveaux sons d’en rester proche. On peut aussi partir de sons déjà existants, mais cette identité doit rester cohérente pour ne pas « faire tâche ».
Ce que j’aime chez Rare, c’est la vision artisanale de la création sonore que l’on a mis en place avec l’équipe. Quand il faut créer un son, et bien le sound designer va faire ses enregistrements, editer ses sons, les intégrer dans le jeu, puis résoudre les bugs… pour créer de A à Z sa vision.. On lui fait confiance, il y a l’amour du travail bien fait, et on ne s’ennuie jamais à faire toujours la même chose. Et ça, c’est une force énorme.
SoTfr : As-tu une anecdote à partager ?
Void : J’en ai plusieurs ! Mais celle qui me revient est lors de l’ajout du brouillard. Je me souviens d’un développeur qui vient me voir en m’annonçant qu’il travaillait sur un système de brouillard. Il me dit : « j’aimerais que tu me crées un son de brouillard, genre un frrrouuuuuuuuhhhuu« . Je lui réponds « OK laisse moi faire », et mon enfant de 4 ans intérieur s’est activé.
J’ai réfléchi à la sensation de solitude, d’isolement, d’être coupé du monde dans la brume. Et j’ai crée un système qui coupe le son à moyennes et longues distances, et qui augmente ceux qui sont proches (craquements du navire, mastication, pas sur le pont …). Donc finalement, créer un son ça peut aussi être l’action d’en retirer, pour adapter la situation à la sensation d’un moment.
SoTfr : Quelle est ta relation avec Sea of Thieves et le jeu vidéo maintenant ?
Void : Je dirais que c’est par phases, des fois je ponce le jeu d’autres fois c’est plus calme. J’y ai vraiment beaucoup joué pendant les trois premières années après sa sortie, mais je joue aussi à d’autres jeux (surtout pendant le COVID et le télétravail) et je cherche à créer aussi sur des projets personnels pour continuer à aimer ce que je fais.
SoTfr : Qu’aimerais-tu voir/faire dans le futur de Sea of Thieves ?
Void : En tant que joueur, je pense que le contenu sandbox [bac à sable, sans direction imposée] est absolument indispensable. D’autres préfèrent du narratif ou du jeu de rôles, personnellement je pense que rajouter des outils ou des armes donne une sorte de 4e dimension au jeu, où les objets rajoutés se combinent pour créer du gameplay (terminer un fort uniquement avec des serpents, propulser son navire au baril explosif …).
Les développeurs imaginent une utilisation, mais les joueurs la poussent dans une direction complètement inattendue. Tools, not rules [les outils, pas les règles], comme le dit si bien Mike Chapman ! La Saison 12 en est un bel exemple, et c’est ça Sea of Thieves.
SoTfr : As-tu une dernière réflexion à ajouter pour conclure ?
Void : Je veux vraiment remercier les joueurs et leur implication dans notre univers pirate. Sans eux, le jeu n’aura jamais autant évolué. Merci de jouer à Sea of Thieves. Et si vous n’y avez pas encore joué, venez nous rejoindre, on y est bien !
PS: il n’existe qu’un seul lit où il est impossible de péter après plusieurs chopes de grog, à vous de le trouver …